La chimie à l’école du vivant

Si l’homme exploite depuis longtemps les effets de l’hybridation chez les animaux et les végétaux, en créant par exemple des variétés de riz plus résistantes et plus productives, elle fait aujourd’hui irruption dans le domaine des technologies avancées. La chimie des matériaux hybrides vise ainsi à concevoir des matériaux originaux pour développer des réponses innovantes aux préoccupations sociétales dans des champs aussi variés que l’environnement, l’énergie ou la santé. En cela, elle suscite l’intérêt du monde tant universitaire qu’industriel car elle incarne un sujet d’avenir riche que nourrissent l’imagination et la créativité des chimistes face à leur principale source d’inspiration : le vivant. En matière d’hybridation, la nature fait preuve en effet d’un savoir-faire performant : photosynthèse des plantes, coquillages, os ou encore l’exemple étonnant de la diatomée, micro-algue photo-synthétique pouvant se constituer une carapace de verre avec la silice – principal composant du sable – présente dans l’eau, et ce à température ambiante. Cette capacité inspira notamment la chimie dite « douce » qui, à température ambiante, associe des composantes organiques ou biologiques avec des minéraux. La chimie des hybrides prend sa source dans cette chimie douce, écologique et respectueuse de l’environnement.

“En matière d’hybridation, la nature fait preuve d’un savoir-faire performant. “

actu-nov17-chimie-naturellement-creative-Diatomée
Image de diatomée, organisme microscopique qui fabrique une carapace de verre à partir de la silice présente dans l’eau.

Composer les matériaux de demain

L’équipe du professeur Clément Sanchez a développé ces dernières années des projets fondamentaux ambitieux dans le cadre de l’élaboration par chimie douce et de la caractérisation physico-chimique de nouveaux matériaux minéraux ou hybrides. Les approches de la Chaire de Chimie des Matériaux Hybrides du Collège de France, en rupture avec les voies existantes et alliant les possibilités offertes par des champs variés, ont permis d’ouvrir de nouvelles pistes pour la résolution de questions importantes. En voici trois exemples :

Des nano-vecteurs multitâches combinant imagerie et traitement pour les cancers. En s’inspirant des structures hiérarchiques des diatomées, le Pr Sanchez et ses équipes ont conçu des « hochets quantiques » qui se révèlent être de véritables « couteaux suisses » thérapeutiques. Ces objets hybrides présentent une coque de silice nanoporeuse abritant des clusters d’or, nanoparticules d’or aux propriétés intéressantes telles que la fluorescence, la production de chaleur et le magnétisme. Cette structure en « hochet quantique » permet de stabiliser les clusters en solution aqueuse ainsi que de les faire pénétrer dans les cellules sans toxicité. Elle permet également de préserver leurs propriétés exceptionnelles et de maximiser la capacité de stockage de médicament, notamment de doxorubicine, un agent anticancéreux difficile à stabiliser dans  des vecteurs traditionnels. Avec ces nouveaux nano-vecteurs, un plus grand nombre de molécules médicamenteuses atteignent leur cible. Par ailleurs, une fois activés par un laser infrarouge, ils émettent de la chaleur pouvant tuer les cellules cancéreuses et réduisant jusqu’à 55% la masse tumorale en un seul traitement. La production de chaleur et la fluorescence des clusters d’or peuvent également être exploitées dans un objectif d’imagerie : elles permettent de combiner à la fois imagerie par fluorescence infrarouge, imagerie photo-acoustique et IRM, offrant une observation de la tumeur de manière complémentaire et avec une très bonne résolution spatiale et temporelle.

Des films de quartz poreux nanostructurés pour l’électronique. Le quartz est un minéral recherché en électronique pour ses propriétés piézoélectriques, c’est-à-dire sa capacité à produire de l’électricité sous l’effet d’une contrainte mécanique. Ces propriétés trouvent nombre d’applications dans l’industrie et la vie quotidienne depuis le commun allume-gaz aux résonateurs piézoélectriques, capteurs de pression ou d’accélération, microgénérateurs… Le quartz au naturel ne possède cependant pas la pureté et la qualité nécessaires à son utilisation dans des dispositifs électriques. Ainsi, les films de quartz sont obtenus à partir de quartz synthétique – fabriqué à température et pression élevées – découpé en tranches ; un procédé coûteux et délicat. Plusieurs années d’efforts de recherche ont permis à l’équipe du  Pr Sanchez de développer une méthode de fabrication de ces films poreux de silice par chimie douce transformés par un simple chauffage sous la forme de nanoparticules de quartz parfaitement orientées par rapport au substrat de silicium, on parle de nanoquartz épitaxié sur silicium. Par ce procédé, les propriétés piézoélectriques sont conservées et la nanoporosité peut être contrôlée à l’échelle du nanomètre, conférant une grande sensibilité et une intégration facilitée des films au sein de systèmes et permettant de miniaturiser considérablement les composants. Outre une réduction drastique des coûts de fabrication, ces travaux ouvrent des champs de recherche et d’application très prometteurs dont les attentes concernent à la fois le domaine des capteurs intelligents basés sur la modulation des ondes acoustiques, de la microélectronique moderne, du stockage d’information…

Des batteries photo-rechargeables. La technologie des batteries rechargeables à base de Lithium-ion repose sur le stockage en énergie chimique de l’énergie électrique. Cette dernière résulte ainsi de la différence de potentiel électrochimique entre une électrode négative riche en ions lithium et une électrode positive pauvre en ions lithium. Lorsqu’un téléphone se décharge, cela signifie que les ions lithium se déplacent depuis l’électrode négative jusqu’à l’électrode positive. Recharger ce téléphone consiste à imposer aux ions lithium le chemin inverse, opération possible en échange d’énergie électrique obtenue en branchant l’appareil au secteur. Le concept de batteries photo-rechargeables envisage l’utilisation de l’énergie solaire, une énergie renouvelable. Si l’idée date des années 80, les rendements étaient jusqu’ici faibles. Grâce à sa connaissance en chimie douce, l’équipe du Pr Sanchez a mis au point des électrodes à base de nanomatériaux permettant de photo-extraire les ions lithium, conduisant à une recharge photo-induite de la batterie. Ce projet présente un intérêt essentiel, tant en recherche fondamentale qu’appliquée, car il montre qu’il est possible de coupler les domaines de recherche du stockage et de la conversion des énergies renouvelables, jusqu’ici distincts et interagissant peu.

actu-nov17-chimie-naturellement-creative © Laboratoire de chimie-de-la-Matière-Condensée-de-Paris-équipe-MHN

Le Pr Sanchez et son équipe – © Laboratoire de chimie de la Matière Condensée de Paris, équipe MHN

Investir pour l’avenir

” Il est essentiel de préserver ce souffle de liberté. Cette liberté est de moins en moins existante, notamment à cause du manque de moyens et de temps nécessaires à toute recherche scientifique “

Ces projets fondamentaux porteurs pour l’avenir ont pu aboutir grâce à la liberté de recherche dont ont bénéficié les équipes du Pr Sanchez. « Il est essentiel de préserver ce souffle de liberté, assure le professeur. Cette liberté est de moins en moins existante, notamment à cause du manque de moyens et de temps nécessaires à toute recherche scientifique ». C’est en cela qu’un soutien apporté par la Fondation du Collège de France et Solvay a été décisif : véritable investissement pour l’avenir, il a permis aux scientifiques de laisser s’exprimer leur créativité pour répondre à des problématiques centrales pour nos sociétés de demain. Cependant, la plus grande satisfaction de ce projet se situe sur le plan humain. L’ensemble des stagiaires post-doctorants associés à ces recherches a intégré la vie professionnelle avec succès.  Deux d’entre eux ont réussi les concours de Chargé de Recherche au CNRS, un est Maître de conférences à l’Université de Montpellier, un autre est assistant Professeur à l’étranger, les deux derniers enfin, sont employés dans des centres R & D chez Dow Chemicals ou Exxon Mobil.

Flavie Dubois-Mazeyrie