Coronavirus : que disent les économistes ?
Pr Philippe Aghion
Depuis le début du mois de mars, on assiste à une floraison d’articles d’économistes sur le coronavirus. Comment chiffrer la perte en Produit Intérieur Brut (PIB) induite par cette crise ? Comment les gouvernements peuvent-ils minimiser les effets de cette épidémie sur l’activité économique à moyen et à long terme ? Comment sortir du confinement ? Comment repenser notre modèle de développement économique et l’organisation du système économique international une fois cette crise passée ? Telles sont les principales questions auxquelles les économistes tentent de répondre.
N’ayant pas produit d’analyse originale sur le coronavirus, ni travaillé au sein d’équipes qui réfléchissent à des plans de sortie de crise, je veux me contenter ici de mentionner quelques remarques et réflexions émises par certains collègues économistes, et qui je crois nourrissent utilement le débat.
Une première remarque sur le coût de l’épidémie en termes de perte du PIB : mes collègues Christian Gollier et Stéphane Straub proposent une estimation de « coin de table » qui paraît assez réaliste. Supposons un confinement qui dure deux mois et qui réduise de moitié l’activité économique. Cela revient à une réduction de 1/12, autrement dit 8%, du PIB annuel. Ce chiffre est optimiste car le retour à une pleine activité sera progressif. Mais cela donne un ordre de grandeur, environ 10% de notre PIB annuel qui est de 2500 milliards d’euro. Donc un coût au moins égal à 250 milliards d’euro. Les auteurs comparent ce chiffre de 10% aux 16% de PIB que nous a coûté la crise de 1929 et les 49% qu’a coûté la Seconde Guerre mondiale.
Seconde remarque : ce coût ne sera pas supporté de façon uniforme au sein de la population. Certaines catégories vont être plus durement frappées que d’autres : les emplois précaires, les travailleurs indépendants, les commerçants et petites entreprises qui risquent la faillite. D’où le rôle de l’État pour garantir en priorité le revenu des personnes touchées, en particulier à travers les allocations chômage, le maintien des primes d’activités, les extensions de prêts et crédits d’impôts aux entreprises pour prévenir les faillites et minimiser les destructions d’emplois…[1]
Troisième remarque : comme l’explique Mario Draghi dans le Financial Times cette semaine, pour éviter que la récession causée par cette épidémie ne se transforme en dépression durable de notre économie, il va falloir que l’État augmente sensiblement la dette publique pour amortir le choc. Dans le passé, les grandes crises économiques et les guerres ont également conduit les États à augmenter leurs dettes publiques. C’est cette augmentation de dette publique qui permettra à l’État de financer les allocations chômage et d’offrir les garanties aux banques pour permettre à celles-ci d’accorder de soutenir les entreprises en difficulté.
La question est évidemment de savoir qui va payer la note et comment. La croissance de long terme fournit une partie de la réponse : c’est la croissance qui génère l’enrichissement qui nous permettra demain de rembourser les dettes contractées aujourd’hui. Mais il y a également le recours à la souscription forcée d’emprunts d’État auprès du contribuable. Un autre outil envisagé par certains est un impôt « one-shot » sur la fortune des particuliers.
Un autre aspect important concerne la solidarité entre pays, notamment entre pays européens.[2] Le confinement italien coûte à l’économie italienne alors qu’il contribue à enrayer l’épidémie dans l’ensemble du continent. Mais la solidarité européenne est sérieusement écornée lorsque les services de douane de la République Tchèque confisquent les masques chinois destinés à l’Italie ou encore lorsque le gouvernement néerlandais s’oppose à toute initiative communautaire pour aider l’Italie et les autres pays particulièrement touchés.
Œuvrant au contraire en faveur de la solidarité, neuf chefs d’État et de gouvernements européens proposent de mutualiser les coûts de l’épidémie, par exemple à travers la création de « corona-bonds » européens avec le soutien de la Banque Centrale Européenne. En même temps, il va falloir un réel assouplissement du Pacte Européen de Stabilité pour permettre aux États membres de conduire des politiques fiscales audacieuses, à la fois pour relancer la demande (politiques de relance « keynésienne ») et pour investir dans la modernisation des infrastructures et des services publics, à commencer par l’hôpital, si démuni en France.
Il y a enfin le choix difficile entre prolonger le confinement, ce qui paralyse l’économie mais sauve des vies, et y mettre fin, ce qui relance la machine économique mais augmente la mortalité. La seule façon de permettre une relance de l’économie qui minimise les risques liés à des vagues supplémentaires de l’épidémie est de conduire des tests massivement.
C’est ainsi que des collègues belges, professeurs d’économie et de médecine[3], proposent d’administrer deux types de tests a grande échelle : 1) les « tests sérologiques pour les anticorps spécifiques du SRAS-Cov-2 qui permettent l’identification des individus qui ont été infectés par le virus, qui se sont rétablis, et ont développé une protection immunitaire contre le virus » ; 2) « les tests RT-PCR qui, basés sur un diagnostic d’ARN, détectent la présence du matériel génétique viral ».
L’idée est que seuls les individus qui sont positifs pour le test sérologique et négatifs pour le test RT-PCR devraient être autorisés à reprendre le travail. Ce double test permettrait de mettre plus rapidement un terme au confinement pour tous, ce qui réduirait considérablement le coût économique de l’épidémie.
Plus généralement, seuls des tests conduits à grande échelle nous donneront une idée réelle de la létalité de la maladie, car seuls ces tests nous permettront de calculer combien de personnes ont été réellement contaminées par le virus[4]. L’espoir est que le taux de mortalité réel soit plus proche du taux officiel allemand (0,5%) que du taux officiel français (5,2%), espoir nourri par le fait que les Allemands administrent 500 000 tests par semaine contre dix fois moins de tests en France. Pourquoi la France administre-t-elle si peu de tests : en partie parce qu’elle a poussé la délocalisation des chaines de valeur beaucoup trop loin ; les Allemands produisent eux-mêmes les réactifs pour leurs tests, pas nous.
Pr Philippe Aghion
Chaire d’Économie des institutions, de l’innovation et de la croissance
[1] Comme le dit très bien Jean Tirole dans Le Point, « l’idée américaine d’un chèque identique distribué à chaque adulte est dispendieuse et injuste ».
[2] L’impact de la crise du coronavirus sur les normes sociales et notre propension à coopérer et à œuvrer en faveur du bien commun, est discuté en détail par Jean Tirole dans ses tribunes récentes pour Le Monde et Le Point.
[3] Voir Mathias Dewatripont, Michel Goldman, Eric Muraille, et Jean-Philippe Platteau, « Identification rapide des travailleurs immunisés au COVID-19 et exempts de virus », 2020, Vox EU.
[4] Un taux asymptotique élevé est une bonne nouvelle dans la mesure où il implique un taux de mortalité plus faible.