Aux côtés du Pr Jean-Marie Tarascon, le post-doctorant Juan Forero-Saboya travaille à créer des batteries plus durables, recherche indispensable pour imaginer les véhicules électriques de demain ou encore permettre le stockage des énergies renouvelables. Rencontre avec ce jeune chimiste dont les travaux ont été soutenus par la Fondation du Collège de France.

Vous êtes chercheur au sein de la chaire Chimie du solide et énergie du Professeur Jean-Marie Tarascon. Quel parcours vous a mené jusqu’à la recherche ?

En grandissant, j’étais cet enfant qui démontait toujours ses jouets pour voir comment ils fonctionnaient, au grand chagrin de mes parents. Cette curiosité m’a conduit à me fasciner pour le fonctionnement du monde, plus tard axée sur la chimie et la science des matériaux. Ma passion m’a poussé à suivre des études de chimie et d’ingénierie chimique à l’Universidad de Los Andes à Bogota, en Colombie, où je me suis intéressé aux dispositifs électrochimiques tels que les cellules solaires et les batteries. Désireux d’élargir mes horizons, j’ai fait le choix de venir en France pour rejoindre un programme de master Erasmus Mundus au sein des réseaux RS2E (Réseau français pour le stockage d’énergie électrochimique) et ALISTORE, fondés par le professeur Jean-Marie Tarascon.

Faire partie de ces réseaux m’a permis de découvrir une multitude d’opportunités de recherche et de collaborer avec des esprits brillants à travers l’Europe, ce qui a façonné mon parcours et consolidé ma passion pour la recherche. Après avoir terminé mon doctorat à l’Universitat Autònoma de Barcelona en Espagne, je me suis retrouvé au cœur de l’innovation au sein de la chaire Chimie du solide et énergie du professeur Tarascon au Collège de France. Son travail de pionnier et la renommée de la chaire étaient des éléments inestimables pour quelqu’un comme moi, désireux de contribuer à la recherche de pointe en électrochimie et en science des matériaux.

Vous vous intéressez aux batteries sodium-ion, une technique de stockage de l’énergie électrique. Pourquoi développons-nous ce type de batteries aujourd’hui ?

Traditionnellement, les batteries lithium-ion ont dominé le paysage du stockage de l’énergie, avec des applications allant des appareils mobiles aux véhicules électriques. Cependant, le développement de la technologie lithium-ion dans les années 1970 s’est fait parallèlement à celui des batteries sodium-ion. Bien que les deux technologies fonctionnent sur des principes similaires d’intercalation des ions, les batteries lithium-ion se sont d’abord imposées en raison de leur plus grande densité énergétique par unité de masse, ce qui a conduit à une commercialisation à grande échelle dans les années 1990, laissant les batteries sodium-ion dans l’ombre.

Ces dernières années, la prise de conscience des limites des ressources et les préoccupations environnementales ont conduit à une réévaluation des technologies des batteries. Les ressources en lithium sont limitées et inégalement réparties, ce qui pose des problèmes économiques et géopolitiques. En revanche, le sodium, plus abondant et largement distribué, constitue une alternative attrayante qui pourrait atténuer ces problèmes et déboucher sur une technologie plus rentable et plus accessible.

Ce changement de perspective a suscité un regain d’intérêt pour les batteries sodium-ion. Plusieurs entreprises, dont la start-up française TIAMAT, travaillent activement à la commercialisation de cette technologie. Si les batteries sodium-ion n’atteignent pas la densité énergétique de leurs homologues au lithium, leurs caractéristiques de puissance supérieures, dues au mouvement plus rapide des ions Na+ dans les matériaux, les rendent très bien adaptées à des applications telles que les outils électriques et le stockage stationnaire.

Plutôt que de considérer les batteries sodium-ion comme des concurrentes directes de la technologie lithium-ion, il est plus raisonnable de les voir comme des solutions complémentaires pour des applications spécifiques, contribuant à diversifier les options de stockage de l’énergie et à réduire la dépendance à l’égard du lithium.

 

Pourquoi cette technologie est-elle plus « durable » ?

La principale raison pour laquelle les batteries sodium-ion (Na-ion) sont considérées comme une option plus durable pour le stockage de l’énergie est l’abondance de minéraux de sodium dans la croûte terrestre. Contrairement au lithium, le sodium est largement distribué et facilement disponible, ce qui en fait une matière première rentable et durable pour les cellules Na-ion.

Cependant, le développement de technologies de batteries durables implique également d’autres matériaux que le lithium ou le sodium. Au laboratoire Chimie du solide et énergie, l’équipe chargée des batteries Na-ion se concentre sur l’utilisation d’éléments abondants tels que le nickel ou le manganèse, tout en évitant l’utilisation du cobalt. Le cobalt, que l’on trouve couramment dans les batteries lithium-ion, soulève des questions éthiques en raison des problèmes liés à son extraction.

Pouvez-vous nous décrire une journée de recherche au laboratoire de Chimie du solide et énergie ?

Au sein de l’équipe Na-ion, je me concentre principalement sur l’optimisation de l’électrolyte, le composant liquide de la batterie qui permet le mouvement des ions Na+. Nos formulations d’électrolytes consistent généralement en un sel principal dissous dans des solvants organiques, complété par des additifs soigneusement sélectionnés pour améliorer la durée de vie et les performances de la batterie.

À cet égard, le développement d’additifs pour les batteries s’apparente à la découverte de nouveaux médicaments pour une maladie. Nous concevons ces additifs au niveau moléculaire et les synthétisons en laboratoire, en ciblant certaines fonctions. Une fois qu’une formulation d’électrolyte prometteuse a été mise au point, j’assemble des piles bouton pour les tester. Ces cellules intègrent l’électrolyte ainsi que des matériaux négatifs et positifs développés par d’autres membres de l’équipe. À l’aide de testeurs de batterie spécialisés, j’évalue systématiquement les performances de ces cellules, en mesurant des paramètres tels que les cycles de charge-décharge, l’efficacité énergétique et la conservation de la capacité.

Grâce à une analyse méticuleuse de la réponse de la batterie à diverses conditions, j’affine la formulation de l’électrolyte si nécessaire. Notre objectif est de créer des batteries capables de supporter de nombreux cycles de charge-décharge tout en conservant une capacité de stockage optimale.

     

Gauche : Composants internes d’une pile bouton : 1 : borne du pôle positif, 2 : matériau du pôle positif, 3 : séparateur poreux rempli d’électrolyte, 4 : matériau du pôle négatif, 5 : disque en acier pour maintenir une pression uniforme, 6 : ressort, 7-9 : borne du pôle négatif et isolant © Romain Dugas, Chaire Chimie du Solide et Energie. Droite : Pile bouton connectée à un appareil de test

Qu’est-ce que ces deux années de recherche au Collège de France vous ont apporté ?

Au cours de mes études doctorales, je me suis focalisé sur des sujets très spécifiques. En revanche, le poste de postdoctorant que j’occupe depuis deux ans au Collège de France m’a permis d’élargir mes perspectives, non seulement dans le domaine de la technologie des batteries Na-ion, mais aussi dans celui de diverses autres technologies de batteries.

Travailler au sein de la chaire du Chimie du solide et énergie m’a permis de bénéficier d’un accompagnement et de conseils inestimables, en particulier de la part du professeur Tarascon et d’autres chercheurs éminents dans ce domaine. Collaborer avec des collègues qui partagent mon enthousiasme pour la chimie et la science des matériaux a été une source d’inspiration considérable et a renforcé mon engagement pour faire progresser les technologies des batteries. De plus, faire partie de cet environnement de recherche dynamique m’a exposé à des collaborations interdisciplinaires passionnantes et m’a permis d’approfondir ma compréhension des défis et des opportunités à multiples facettes dans ce domaine. Je suis vraiment reconnaissant pour les expériences enrichissantes et les connaissances que j’ai acquises au cours de mon séjour ici.

Ces expériences ont non seulement façonné mes travaux de recherche actuels, mais elles ont également jeté les bases de mes futurs projets. Cette année, j’ai eu l’honneur de recevoir la bourse Marie-Skłodowska-Curie qui soutiendra mon prochain projet axé sur le développement d’électrolytes liquides pour les batteries utilisant du lithium-métal. Ce projet passionnant sera réalisé en collaboration avec des institutions réputées telles que le Massachusetts Institute of Technology (MIT), le Boston College (BC) aux États Unis et le CICenergigune en Espagne, marquant ainsi une étape importante dans mon parcours de recherche.

Les travaux de Juan Forero-Saboya ont été soutenus pendant deux années par la Fondation du Collège de France. Recruter des jeunes talents au Collège de France est essentiel pour apporter un soutien direct aux professeurs et garantir la vitalité d’une recherche d’excellence. >> Nous soutenir

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Projet de recherche soutenu : « Développement d’électrolytes pour les batteries Na-ion ».

Crédit photo © Cyril Fresillon / TIAMAT / CNRS / Photothèque

Propos recueillis par Mathilde Lanneau