S’inspirer de la nature pour recycler le CO2
Portrait de chercheur : Adèle Peugeot
La Fondation du Collège de France vous propose d’aller à la rencontre d’Adèle Peugeot, ancienne chercheuse en chimie au sein du laboratoire du Pr Marc Fontecave, chaire Chimie des processus biologiques.
Quel parcours vous a mené jusqu’à la recherche ?
À l’issue de ma classe préparatoire, j’ai intégré l’Ecole normale supérieure en chimie et je me suis intéressée aux enjeux de développement durable, en particulier dans le domaine des énergies et de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ces domaines d’avenir soulèvent de nombreux défis qui ont tout de suite nourri ma curiosité et mon intérêt. Je me suis spécialisée en chimie des matériaux pour étudier la conception de matériaux dédiés à la production et au stockage d’énergies renouvelables selon une approche biomimétique qui consiste à étudier la nature sous toutes ses formes pour en tirer des développements technologiques. La nature est une source d’inspiration incroyable pour concevoir des matériaux permettant de répondre à nos besoins en énergie de manière efficace, durable et à moindre coût. Imaginer les matériaux de demain est passionnant car il faut prendre en compte les notions de cycle de vie et de recyclage, associées aux contraintes environnementales actuelles et futures.
Après mon master à l’ENS, je me suis tournée vers la recherche en débutant une thèse au Collège de France dans le laboratoire du Pr Marc Fontecave (chaire Chimie des processus biologiques). Ces années de recherche m’ont passionnée car mon projet représentait un grand défi à relever et j’étais très motivée par l’idée de trouver des solutions à des problèmes irrésolus et à fort enjeu sociétal. Évoluer dans le domaine de la recherche m’a également permis de continuer à apprendre constamment, tout en ayant un projet concret avec des objectifs bien définis au sein de mon équipe.
Quels sont les enjeux de ce laboratoire ? Sur quoi portaient vos travaux ?
J’ai découvert les travaux du Pr Fontecave lors de mes recherches sur le biomimétisme. Avec son équipe, il venait de mettre en place le premier modèle de photosynthèse artificielle. Concrètement, cela se présente sous la forme d’un petit boîtier, appelé électrolyseur, alimenté en courant par des mini-panneaux solaires, dans lequel on fait passer directement du dioxyde de carbone (CO2) et de l’eau, et qui produit en sortie des gaz, principalement de l’éthylène, et des liquides tels que l’éthanol.
Avec cette cellule de photosynthèse artificielle, nous cherchons à produire des hydrocarbures, c’est-à-dire des molécules que nous pourrions utiliser dans l’industrie chimique ou le secteur des transports. Ces molécules permettraient d’une part de recycler le CO2, mais également de stocker l’énergie solaire sous forme chimique. Elles pourraient donc constituer une source d’énergie respectueuse de l’environnement, et serviraient par exemple à remplacer nos ressources fossiles…
Cependant, si nous nous limitons à imiter le processus de photosynthèse naturelle, les rendements seraient trop faibles. La chaîne des réactions chimiques sous-jacentes est complexe et le rendement de la conversion de l’énergie solaire en matière organique est faible pour la plupart des plantes. De plus, les systèmes des plantes sont trop fragiles et pas assez robustes pour en faire des systèmes industrialisés. Notre démarche part donc de la photosynthèse mais nous aspirons désormais à l’adapter pour développer des procédés à grande échelle.
C’est ici que la chimie des matériaux intervient : pour le moment, des matériaux rares et onéreux sont utilisés, comme le platine et l’iridium. L’enjeu de nos recherches consiste donc à trouver des alternatives moins coûteuses, durables et robustes pour pouvoir développer cette cellule à l’échelle industrielle.
Comment s’organise le laboratoire ?
Le laboratoire est composé de doctorants, post-doctorants et de chercheurs permanents. Chacun a un projet bien défini qui lui est propre mais les recherches ont pour objectif commun de faire fonctionner le projet global. Au sein du laboratoire, les chercheurs communiquent beaucoup et encouragent l’entraide ; une fois par semaine quelqu’un présente l’avancée de ses travaux au reste de l’équipe.
Les savoirs sont complémentaires : si certains sont davantage orientés vers la biologie, d’autres travaillent sur la chimie des matériaux. Pendant mes années de doctorat, cette dernière équipe était divisée en deux groupes, à l’image du fonctionnement de la cellule : l’un s’intéressait à la transformation du CO2, l’autre à celle de l’eau qui est convertie de manière simultanée dans le procédé. Mes recherches portaient sur la transformation de l’eau et visaient à répondre à cette problématique : dans cette opération, comment faire pour utiliser et transformer l’eau de manière efficace et durable ?
Comment avez-vous vécu cette expérience de doctorat au sein du Collège de France ?
Le Collège de France est un cadre exceptionnel pour la recherche ! Il m’a permis d’évoluer dans un milieu international, ce qui est à mon sens très épanouissant d’un point de vue personnel et très stimulant d’un point de vue scientifique. De plus, la vie scientifique y est très active. Les chercheurs peuvent se rendre à de nombreuses conférences sur des sujets extrêmement variés. Cela leur permet de placer leurs recherches dans un contexte plus large.
J’ai notamment pu assister au colloque de rentrée 2019 dont le thème était « Recherche et innovation : quel avenir ? ». Traitant des liens entre ces deux notions, professeurs du Collège de France et intervenants extérieurs issus du monde de la recherche ou de l’entreprise confrontaient divers points de vue et expériences tant issus de la biologie, de la chimie ou de la physique que des sciences humaines et sociales. J’ai pu également suivre certains cours du Pr Aghion, chaire Économie des institutions, de l’innovation et de la croissance.
Pour encourager ce dynamisme de la vie scientifique au Collège de France, j’ai été présidente de l’association des ChADoC qui rassemble les jeunes chercheurs issus des différents départements du Collège de France à l’occasion de divers événements. Notre objectif était de favoriser les liens entre les différentes disciplines représentées dans l’établissement, et de donner l’opportunité aux jeunes chercheurs de parler de leurs travaux.
Avez-vous poursuivi votre carrière dans la recherche depuis votre expérience au Collège de France ?
Suite à mes années de recherche au Collège de France, je me suis orientée vers le monde privé, tout d’abord dans le domaine de la production d’hydrogène renouvelable, chez TotalEnergies. J’ai ensuite rejoint Veolia, où je travaille à développer des projets d’innovation au service de la transformation écologique. Cela me permet de contribuer à inscrire les avancées scientifiques dans la réalité des enjeux de notre société, et de m’intéresser à des sujets aussi variés que la réduction des émissions de gaz à effet de serre des activités de traitement des déchets, le recyclage des plastiques, ou encore la valorisation du biogaz issu des déchets organiques. Ces expériences me montrent l’importance du dialogue et de la complémentarité entre le monde académique et le monde industriel pour servir notre objectif commun de transition vers un monde plus durable.
Découvrez le Laboratoire de chimie des processus biologiques au Collège de France