Réparer le corps humain
Les nouveaux matériaux de la médecine de demain
Rattachée à la chaire Chimie des matériaux hybrides du Pr Clément Sanchez, l’équipe du Dr Nadine Nassif mène un projet particulièrement prometteur en ingénierie tissulaire. L’objectif poursuivi est la création de tissus bio-inspirés (cornée, os) à base de collagène pour pallier les déficiences du corps humain. Selon le tissu ciblé, des matériaux organiques ou hybrides sont préparés dans la perspective d’élaborer des implants. Récit d’une aventure scientifique soutenue par la Fondation EDF.
Le collagène, c’est quoi ?
Déjà connu et utilisé 2000 ans avant notre ère par les Égyptiens pour ses qualités de colle naturelle, le collagène est une protéine dite « structurale » dont le rôle, essentiel, est de façonner les organismes en contribuant à leur architecture et en conférant aux tissus une résistance mécanique à l’étirement. Présent dans les os, le cartilage, les muscles, les parois des vaisseaux et dans de nombreux autres organes, il est la protéine la plus abondante du règne animal. Le collagène entre également dans la composition de nombreux produits industriels tels que la gélatine, largement utilisée en agroalimentaire, ou encore sous forme d’additif en cosmétique.
Protéine fibreuse dont les composants moléculaires peuvent s’assembler selon des combinaisons différentes, il existe en réalité plusieurs types de collagène, chaque type possédant une structure propre et se retrouvant dans des organes particuliers. Ainsi, si le type III intervient au niveau du système cardiovasculaire, le type I se retrouve dans la peau, les tendons, les os ou la cornée.
Le vivant au cœur d’un processus simple et innovant
C’est aux propriétés de ce collagène de type I que s’est intéressée l’équipe du Dr Nadine Nassif. En ajustant la concentration et le mode de concentration du collagène de type I, les biomatériaux (NDLR : matériaux conçus pour interagir avec les systèmes biologiques) peuvent former des architectures similaires à celles observées dans les tissus biologiques in vivo. Avec cette approche bio-inspirée, l’équipe a alors mis en place un processus d’élaboration 3D simple et innovant de matériaux organiques ou hybrides dans la perspective d’élaborer des implants de substituts osseux ou de cornée. Deux études ont ainsi été menées :
Reproduire la cornée. Le collagène est un cristal-liquide lyotrope : une matière qui combine les propriétés d’un liquide à celles d’un solide cristallisé et dont il est possible de contrôler les différentes phases en ajustant les conditions de concentration et de pH. Lorsque la précipitation des fibres de collagène est effectuée dans des conditions diluées, on obtient un gel fibrillaire lâche. À l’inverse, une concentration élevée permet l’obtention de matrices de collagène denses. En fonction de la concentration, le collagène évolue systématiquement du nématique (les molécules sont orientées dans le même sens) au cholestérique (les molécules s’organisent de manière périodique en hélice) lorsque la concentration en collagène est supérieure à 80 mg/mL. En élaborant un screening des matrices de collagène, allant des concentrations les plus faibles aux plus élevées, l’équipe du Dr Nassif a pu identifier une phase inédite à une concentration spécifique. Cette nouvelle phase se présente sous la forme de matrices transparentes à la structure facettée et dont le comportement présente de fortes corrélations avec la cornée en termes de propriétés optiques et mécaniques.
Reproduire l’os. Cette seconde étude exploite à nouveau les propriétés lyotropiques du collagène qui, lorsqu’il est plus concentré, présente un gain en densité et en organisation. En phase cholestérique, et lorsqu’on augmente le pH, la précipitation des molécules du collagène prend la forme de fibrilles striées qui adoptent elles-mêmes une structure en arceau qui mime celle de l’os humain. À cette matrice organique, des biominéraux précurseurs de la phase minérale de l’os ont été mélangés, conduisant à l’obtention d’une matrice minéralisée hybride « collagène-apatite ». Celle-ci, confinée dans un moule reproduisant un os, permet ainsi l’obtention d’un ensemble homogène opaque de couleur blanche similaire aux tissus osseux. Ce passage du tissu à l’organe est un saut d’échelle important et a déjà donné lieu à des tests qui ont montré la colonisation de l’implant par les cellules de l’hôte ainsi que l’absence d’inflammation.
Des nouveaux matériaux pour la médecine de demain
Les résultats de ces études soutenues par la Fondation EDF viennent renforcer l’hypothèse de l’implication de phénomènes physico-chimiques type cristaux-liquides dans la formation de tissus biologiques collagéniques et laissent espérer la possibilité de reproduire la structure de nombreux tissus composés de collagène de type I. En particulier, face à une pénurie récurrente de greffons cornéens et à la pratique de la greffe autologue pour remplacer les tissus osseux, ce qui induit une double opération pour le patient et une source limitée d’os, cette découverte ouvre des perspectives prometteuses en ingénierie tissulaire pour répondre aux déficiences du corps humain et à la perte d’autonomie qu’induisent de nombreuses maladies. Une promesse qui a déjà convaincu plusieurs entreprises spécialisées dans les biomatériaux et les technologies médicales à développer ces nouveaux matériaux pour la médecine de demain.
Flavie Dubois-Mazeyrie