Faire dialoguer les civilisations
Une présentation du nouvel Institut des civilisations du Collège de France
En décembre 2016, le site Cardinal Lemoine du Collège de France fermait ses portes et se couvrait d’échafaudages pour laisser place à une campagne de rénovation inédite. Outre des espaces modernisés et davantage ouverts sur la ville, cette rénovation constitue un projet architectural et intellectuel ambitieux : regrouper sous une seule entité l’ensemble des chaires, instituts et bibliothèques du Collège dédiés à l’étude des civilisations. Ce projet, soutenu par la Fondation du Collège de France, marque la naissance d’une entité interdisciplinaire unique au monde : l’Institut des civilisations.
Une ambition intellectuelle du Collège de France
Depuis sa fondation au XVIe siècle, le Collège de France s’est attaché, souvent en précurseur, à l’étude des civilisations : les mondes grec et romain, bien sûr, mais aussi le monde islamique et l’étude des langues sémitiques comme l’Hébreu ou l’Arabe. L’Asie occupe également une place de choix avec la première chaire d’études chinoises créée en 1814, rapidement suivie par des chaires consacrées aux civilisations persane, indienne et japonaise. En 1831, l’étude de l’Egypte ancienne apparaît avec Jean-François Champollion, bientôt suivie par la Mésopotamie antique. Enfin, plongeant aux origines de l’homme et de sa pensée, le Collège de France a également créé très tôt des chaires dédiées à la préhistoire et à l’anthropologie.
Les professeurs qui se sont ainsi succédé ont réuni, au fil des siècles, des collections parfois uniques au monde de livres, manuscrits, papyrus, tablettes et artefacts qui sont autant d’inestimables objets d’étude pour les chercheurs. Ce fonds patrimonial exceptionnel fait l’objet depuis 2013 d’une vaste campagne de numérisation et de mise à disposition en ligne sur le site Salamandre. Divisé en 14 bibliothèques spécialisées, il s’étend sur près de 18 km de linéaires et ne cesse de s’enrichir.
Avec les 11 chaires du Collège de France dédiées à l’étude des civilisations, ces bibliothèques forment aujourd’hui le cœur du tout nouvel Institut des civilisations : entité interdisciplinaire dont l’ambition est de favoriser la symbiose de la recherche et de la documentation au service d’une émulation scientifique sans précédent.
L’Institut des civilisations : un défi et une nécessité
Unique au monde, l’Institut des civilisations se divise en quatre pôles : Anthropologie sociale, Proche-Orient ancien, Extrême-Orient et Monde méditerranéen ancien, médiéval et moderne. La force du projet est de permettre un décloisonnement inédit entre ces champs de recherche grâce à la mutualisation de services et d’équipements ainsi que l’élaboration de projets scientifiques communs.
Cette ambition de décloisonner les frontières traditionnelles entre les disciplines ouvre à un dialogue renouvelé entre des spécialistes d’aires culturelles variées, participant ainsi à faire avancer notre connaissance des civilisations et de leurs apports à l’histoire de l’humanité. En outre, dans le contexte actuel d’un monde bousculé, où certains brandissent la menace d’un « choc des civilisations », il est essentiel de montrer que, loin de s’être systématiquement opposées, nombre de civilisations se sont mutuellement influencées et enrichies à travers un dialogue qui doit se poursuivre. En Occident par exemple, une partie de la philosophie grecque s’inspire des écoles d’Orient. En Asie, le bouddhisme, apparu en Inde au Ve siècle avant JC, a exercé son influence jusqu’aux confins du Japon tout en adoptant des formes très diverses. Cette lecture transversale peut aujourd’hui apporter de précieux éclairages sur notre présent grâce à une mise en perspective historique et anthropologique.
Se jouer des frontières
L’avenir des sciences se joue pour beaucoup aux frontières entre les disciplines. Par exemple, c’est au XVIIIe siècle qu’Antoine Lavoisier, considéré comme le père de la chimie moderne, découvre l’oxygène, principe sous-jacent à la combustion, la réduction, la respiration et l’acidité. C’est également à partir de l’identification de cet « air éminemment respirable » qu’il détermina, en véritable précurseur de la physiologie, le fonctionnement du système respiratoire.
Ainsi, fort de la diversité de ses chaires, le Collège de France mène depuis longtemps une politique scientifique ambitieuse fondée sur l’interdisciplinarité et la mutualisation de la recherche à travers divers instituts. Vus non pas comme des entités administratives mais comme des pôles d’excellence, plus souples dans leur fonctionnement et leur organisation, ils permettent aux équipes travaillant sur des sujets proches de partager leurs moyens, mieux collaborer et échanger entre disciplines pour porter des projets scientifiques communs ambitieux. Cette interdisciplinarité fait du Collège de France un environnement intellectuel et scientifique unique.
Très prégnant en sciences dures, ce principe d’interdisciplinarité trouve désormais toute sa place en sciences humaines et sociales.
Flavie Dubois-Mazeyrie