Monsieur Lucio Toscano nous a quitté en juillet 2019. Conformément à son souhait, la bourse Anna Caroppo – Fondation du Collège de France perpétue son geste en apportant un soutien à de jeunes et talentueuses chercheuses en sciences humaines et sociales.

Monsieur Lucio Toscano, grand donateur de la Fondation du Collège de France,  est à l’initiative de la bourse Anna Caroppo – Fondation du Collège de France créée en 2017. En hommage à sa mère, cette bourse a pour but d’encourager de jeunes chercheuses talentueuses en leur permettant de poursuivre, pendant une année, leur formation par la recherche au sein du Collège de France, dans le domaine des sciences humaines. Nous avons été à la rencontre de ce philanthrope napolitain pour en savoir davantage  sur ce qu’il considère comme un geste porteur d’avenir.

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Pour commencer notre entretien, pourriez-vous vous présenter en quelques mots à nos lecteurs ?

En général, lorsqu’on me demande de me présenter je dis enseignant. On pense alors que j’étais instituteur. Je regrette de ne pas l’avoir été car ils font un travail admirable que j’aurais été bien incapable de faire. J’enseignais le français dans le secondaire. Ma petite personne n’est pas bien intéressante d’un côté. D’un autre côté, si l’on regarde ma date de naissance, on pourrait en dire beaucoup ou pas assez ! Ma qualité d’ancien enseignant suffit donc largement.

Vous êtes devenu grand donateur de la Fondation du Collège de France en 2017, quelles sont les raisons qui ont motivé votre soutien ?

J’ai décidé de soutenir le Collège de France par le biais de sa Fondation par pure admiration de cette institution. J’allais suivre les cours du Collège de France avant d’avoir du mal à me déplacer. Ils ont parachevé ma formation, si on peut parler de  formation à plus de soixante-dix ans.

En général, je m’intéressais surtout aux cours sur les sciences humaines. Mon plus grand regret a été de ne plus pouvoir assister aux cours du Pr Antoine Compagnon. Je suivais également les cours de Marc Fumaroli ou de Pierre Toubert, par exemple. Heureusement que les cours sont en ligne sur le site internet du Collège, je suis maintenant les cours de Patrick Boucheron. C’est comme si nous étions dans l’amphithéâtre Marguerite de Navarre.

Et comment avez-vous connu le Collège de France ? En étant enseignant ?

Bien avant. C’est en me penchant sur la vie et l’œuvre d’Henri Bergson qu’à dix-sept ans j’ai appris l’existence du Collège de France, par le détail qu’à ses cours se bousculaient les élégantes du faubourg Saint-Germain.

Lorsque j’ai entrepris, un demi-siècle plus tard, d’assister assidûment aux cours du Collège dès que j’en eus le loisir ce fut pour entendre les leçons d’Yves Coppens et Pierre Bourdieu, dont les écrits m’avaient enchanté au début des années 1970. D’où nous venons et ce que nous sommes – où nous allons, envisagé avec sérénité.

Grâce à votre généreuse donation, une bourse a été créée en 2017, la bourse Anna Caroppo, du nom de votre mère, visant à encourager de jeunes chercheuses. Quelles sont les raisons qui ont motivé ce geste ?

En faisant ma donation, mon but était d’aider des personnes souhaitant poursuivre leurs études dans la recherche mais qui, faute de moyens, se retrouvent obligés d’abandonner leur vocation.

En mai 68, j’étais à Paris. À cette époque, j’ai été contraint d’abandonner une carrière universitaire qui ne me permettait plus d’assurer le quotidien. C’est la raison pour laquelle je me suis orienté vers le secondaire. Je me suis très bien orienté. J’ai été très content. J’ai eu la chance d’enseigner à l’étranger, en Belgique et au Pays-Bas notamment, dans les Écoles européennes. C’est une institution formidable créée au départ pour les enfants des fonctionnaires européens. J’ai enseigné le français à tout le monde sauf à des français.

Mon cas n’était pas isolé. J’avais un collègue à l’École européenne, un littéraire, qui faisait de la recherche mais qui n’a pas pu faire autrement pour subvenir aux besoins de sa famille que de bifurquer vers l’enseignement secondaire. Pourtant, il a écrit deux ou trois essais qui étaient très bons pour autant que je puisse en juger. C’est pour éviter ce genre de situation que je souhaite aujourd’hui que la bourse aide de jeunes talents dans le besoin.

Ma donation est également motivée par une sorte de dette de reconnaissance. Je suis installé à Paris depuis maintenant vingt-cinq ans, mais comme je vous l’ai dit, j’avais déjà vécu en France dans les années 1960. D’abord étudiant à la Sorbonne en lettres modernes, j’ai ensuite été boursier du gouvernement français à l’université d’Aix-Marseille. L’État français m’a beaucoup apporté. C’est une façon pour moi de le lui rendre, et au Collège de France en particulier.  

Pourriez-vous nous expliquer votre souhait d’honorer la mémoire d’une personne chère en créant cette bourse au nom de votre mère ?

Anna Caroppo est le nom de jeune fille de ma mère. Née le 5 mai 1901 et fille de rentier, elle vient d’une famille bourgeoise à l’aise financièrement mais qui s’est malheureusement retrouvée ruinée, comme cela arrivait souvent à l’époque, par une mauvaise administration et des malheurs de santé. Ma mère a ainsi dû arrêter ses études à l’âge de 12 ou 13 ans.

Elle a toujours adoré la littérature. Elle m’a appris à lire sur ses propres livres. Elle avait lu toute la littérature plus ou moins populaire de l’époque. C’est elle qui m’a mis entre les mains mes premiers livres. J’ai découvert avec elle Alexandre Dumas et André Gide avec Si le grain ne meurt qu’elle m’avait offert pour l’un de mes anniversaires. Ça doit vous donner une idée de la personne qu’elle était. Je vous parle aussi d’une époque où la télévision n’existait pas, il n’y avait que la radio et on ne l’écoutait pas beaucoup. Il ne faut pas oublier que c’était la période fasciste.  

Ma mère lisait énormément et j’ai hérité d’elle ce goût pour la littérature. Je reste persuadé par son héritage et ma formation intellectuelle que le plus grand malheur c’est l’ignorance et que le plus grand bonheur c’est l’instruction.

Il se trouve qu’à mon grand malheur elle est morte relativement tôt, je n’avais que trente-cinq ans, pour moi c’était un peu tôt. C’est une façon de perpétuer son souvenir et son nom. Ma voix n’est pas très importante.

Par votre témoignage, vous pouvez amener d’autres personnes à s’engager auprès de la Fondation du Collège de France…

Vous savez quand on a 84 ans, on a cette façon de raisonner comme s’il y avait un après. Il n’y a pas eu d’après pour ma mère. Cette donation est une façon de faire pour qu’il y en ait un.

Il y a là une jeune Chinoise, Hengying Rong, lauréate 2017 de la bourse Anna Caroppo, qui n’aurait jamais entendu parler d’Anna Caroppo sans cette bourse. Elle en parlera peut-être même à ses parents qui connaîtront à leur tour ce nom.

C’est exactement ce que je voulais perpétuer le souvenir de ma mère autant que possible et en même temps donner un coup de main à quelqu’un qui en a besoin.

Propos recueillis par Jeanne Bassinet