Rattachée à la chaire Génétique et physiologie cellulaire du Pr Christine Petit, l’équipe du Dr Nicolas Michalski mène un projet très prometteur autour de la compréhension, tant génétique que physiologique, de la formation, de la structure et du fonctionnement du cortex auditif. Ce projet, soutenu par la Fondation du Collège de France, a pour objectif d’accroître nos connaissances des dysfonctionnements du système auditif central qui touchent environ 5% des enfants et plus de 25% des personnes âgées afin de permettre la mise au point de méthodes de réhabilitation auditive innovantes et adaptées.

Quel est l’objectif de vos recherches ?

Nicolas Michalski : L’objectif de nos recherches est de mieux comprendre le fonctionnement du système auditif central, notamment par la caractérisation des gènes responsables de pathologies auditives. Ces pathologies peuvent avoir pour origine une atteinte du système auditif périphérique ou/et du système auditif central, et sont très variées. Elles incluent par exemple les surdités neurosensorielles, les acouphènes, des déficits de perception de la parole ou des pathologies psychiatriques comportant une composante auditive.

Au moment d’initier cette nouvelle thématique de recherche sur le système auditif central, il nous fallait identifier un modèle animal de pathologie auditive qui avait pour origine une atteinte du système nerveux central. A mon retour de post-doctorat dans le laboratoire du Prof. Christine Petit, mon attention s’est portée sur une lignée de souris mutante pour un gène de surdité qui, en plus d’une surdité modérée, présentait une susceptibilité aux crises audiogènes. Les crises audiogènes sont des crises d’hyperactivité neuronale anormale induites par un son de forte intensité. Leur survenue est indicative d’un déséquilibre entre l’excitation et l’inhibition neuronales dans les voies auditives centrales.

Au cours de l’étude de ce premier modèle animal, nous avons découvert que de nombreuses lignées de souris mutantes pour des gènes de surdité présentaient une susceptibilité aux crises audiogènes. Chacun de ces gènes représente donc un nouveau point d’entrée pour déchiffrer les bases moléculaires du fonctionnement du système auditif central. L’étude des deux premiers gènes a notamment permis de montrer que les protéines apparentées aux cadhérines qui jouent un rôle important dans l’adhésion cellulaire, les cdhr15 et cdhr23, sont responsables non seulement d’atteintes de l’organe sensoriel de l’audition, la cochlée, mais également d’atteintes du cortex auditif. Nous caractérisons à présent les fonctions de ces deux protéines dans le cortex auditif et explorons la nature des atteintes centrales dans les autres modèles de souris mutantes présentant une susceptibilité aux crises audiogènes.

L’originalité de votre recherche repose sur une approche à la fois génétique et physiologique. Quels sont les avantages d’une telle approche ?

N.M. : L’approche génétique, basée sur l’étude des formes héréditaires de surdité, a été particulièrement efficace au cours des 25 dernières années pour révéler la physiologie moléculaire de la cochlée. En revanche, cette dissection génétique a fourni jusqu’à présent peu d’informations sur le système auditif central, bien que les dysfonctionnements de celui-ci semblent toucher environ 5% des enfants et plus de 25% des personnes âgées.

Nos premiers résultats suggèrent que des atteintes centrales pourraient coexister avec des atteintes de la cochlée dans certaines formes génétiques de surdité. Ces atteintes centrales seraient passées inaperçues jusqu’à présent en raison de l’atteinte cochléaire, qui prive le cerveau auditif de tout ou partie des informations acoustiques qu’il reçoit normalement. Nous ne savons pas dans quelle mesure de telles atteintes centrales sont présentes dans des formes génétiques de surdité.

Parmi les 300 gènes connus actuellement ayant un rôle dans le développement et le fonctionnement de la cochlée, environ une trentaine ont déjà été identifiés comme ayant un autre rôle dans le cerveau. Un de nos objectifs est de compléter cet état des lieux rapidement, de caractériser la fonction des protéines pour lesquels ces gènes codent et les populations neuronales qui les expriment dans le cerveau.

Quels sont vos premiers résultats ?

N.M. : Par l’étude de cdhr15 et cdhr23, nous avons découvert le premier exemple d’une population de neurones inhibiteurs spécifique du cortex auditif. Au cours de leur développement précoce, ces neurones expriment depuis leur naissance à distance du cortex jusqu’à leur destination finale dans le cortex auditif, ces deux protéines apparentées aux cadhérines. Ils expriment ultérieurement un marqueur caractéristique de l’un des trois grands types de neurones inhibiteurs du cortex, la parvalbumine. Quand l’un des gènes codant pour cdhr15 ou cdhr23 est inactivé chez la souris, cette population de neurones inhibiteurs est totalement ou partiellement incapable d’atteindre le cortex auditif.

Ces résultats montrent que des gènes de surdité dont on pensait qu’ils n’avaient qu’un rôle cochléaire ont un rôle indépendant dans le développement et la formation des réseaux neuronaux du cortex auditif.  La conservation de l’expression de cdhr15 et cdhr23 dans les mêmes régions cérébrales, de la souris aux primates, indique que les patients porteurs de mutations dans ces deux gènes de surdité ont sans doute aussi un déficit de ces neurones à parvalbumine dans leur cortex auditif.

Après la pose d’un implant cochléaire, dispositif médical électronique qui code le signal acoustique en un signal électrique et stimule directement le nerf auditif (court-circuitant ainsi le traitement du son par la cochlée), certains patients porteurs de mutations dans l’un de ces deux gènes rencontrent des difficultés anormales de compréhension de la parole. Ces difficultés pourraient donc avoir pour origine un déficit des interneurones à parvalbumine au sein du cortex auditif. Ces neurones sont en effet fortement impliqués dans la plasticité corticale qui façonne la structure et la fonction des réseaux neuronaux du cortex à partir de l’expérience auditive. Ils sont aussi impliqués dans la précision temporelle de la détection sonore, nécessaire à la compréhension de la parole. Dans le futur, nous espérons ainsi pouvoir mettre au point des méthodes de réhabilitation auditive innovantes adaptées à ces atteintes du cortex auditif.

Propos recueillis par Flavie Dubois-Mazeyrie