Cet été, le professeur Thomas Römer, chaire des Milieux bibliques, a mené des fouilles archéologiques inédites sur le site de Kiriath-Jearim en Israël. Située à 12 km de Jérusalem, cette ville plusieurs fois mentionnée dans la Bible n’avait, jusqu’à présent, jamais fait l’objet de fouilles archéologiques. Mené sous la direction de Thomas Römer, Christophe Nicolle et Israël Finkelstein, ce projet commun du Collège de France et de l’université de Tel Aviv, soutenu par la Fondation du Collège de France, est l’occasion de revenir sur les travaux de recherche du Professeur Römer.

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« La Bible n’est pas tombée du ciel »

Qui a écrit la Bible ? Quand ? Et pourquoi ? L’ouvrage le plus vendu au monde est aussi celui qui soulève le plus de questions et nourrit le plus de controverses sur sa véracité historique. Confrontées depuis le XIXe siècle aux progrès des études littéraires et archéologiques, sa chronologie et son historiographie ne cessent d’être remises en question, donnant naissance à une exégèse scientifique.

Car la Bible est une construction bien humaine, une bibliothèque de documents de natures et de sources différentes rassemblés au IVe siècle avant notre ère par plusieurs rédacteurs. Son récit d’un Israël mythique reflète une vision idéologique qui diffère des données mises à jour par les diverses fouilles menées au Proche-Orient. Il s’agit en effet d’un récit davantage identitaire qu’historique. La Bible conte ainsi l’histoire d’un peuple qui, au cœur d’un minuscule royaume, a cherché à se forger un avenir et à définir le ciment de son unité face à ses puissants voisins. Son étude révèle en outre de nombreuses analogies avec d’autres écrits ou religions du Croissant fertile, prouvant des rapports complexes entre les monothéismes juif et chrétien et les autres religions de la région. Comme l’explique le Professeur Römer : « Depuis le VIIIe siècle, au moins, les marchandises circulent et, avec elles, les mythes ».

Faire entrer la Bible dans l’histoire

Pour Thomas Römer, la Bible doit être examinée dans une perspective historique et culturelle. L’exégète scientifique ne peut se contenter de suivre la chronologie choisie par les rédacteurs bibliques : les textes doivent être lus à la lumière du contexte socio-historique des milieux dans lesquels ils ont vu le jour. C’est dans cette optique qu’il mène ses travaux au Collège de France. Créée en 2008, la chaire des Milieux bibliques qu’il dirige est dédiée à l’intelligence de la construction de la Bible, à l’étude comparatiste de ses mythes fondateurs et à la connaissance de l’histoire des royaumes d’Israël et de Juda aux deuxième et premier millénaires avant notre ère.

La Bible hébraïque est l’un des textes fondateurs des civilisations judéo-chrétiennes et occidentales mais également un document nécessaire pour mieux comprendre l’Islam et les civilisations musulmanes. « Comment comprendre l’histoire, la littérature, l’art pictural et musical, et aussi un certain nombre de conflits géopolitiques actuels, sans connaissances approfondies des textes bibliques et de leurs significations ? », souligne Thomas Römer. Part importante de notre patrimoine culturel et clé de compréhension, il est selon lui essentiel d’en avoir une lecture laïque et critique pour qu’elle ne soit pas l’apanage du discours religieux et de ses possibles dérives.

Kiriath-Jearim : un site biblique encore inexploré

Niché sur un imposant tell[i] de 6 hectares à 12 km de Jérusalem, Kiriath-Jearim est l’un des rares sites bibliques à n’avoir jamais fait l’objet de fouilles. Jusqu’alors préservé, le site apparaît pourtant plusieurs fois dans la Bible, notamment dans le premier livre de Samuel (7, 1) où il est mentionné comme le lieu qui aurait accueilli, une vingtaine d’années durant, l’arche d’alliance, coffre destiné, selon certains textes bibliques, à contenir les tables de la loi confiées à Moïse, avant qu’elles ne soient emportées par le roi David à Jérusalem. Le nom arabe de la ville de Kiriath-Jearim, Deir el-Azar, contient peut-être une référence au prêtre Eléazar, fils d’Abinadab, à qui aurait été confié l’objet saint lors de son établissement à Kiriath-Jearim (2 Sam 7,1).

Cependant, ce projet de fouille archéologique n’a pas pour ambition de trouver l’arche d’alliance ni d’en prouver l’existence, sinon de trouver des indices sur l’importance du site. Les différentes mentions de Kiriath-Jearim dans la Bible ainsi que les nombreuses traces d’occupation du site à l’âge de Fer pourraient être les indices d’une ville et d’un centre religieux importants. Ville frontière entre les tribus de Juda et de Benjamin à l’endroit même où fut installé un avant-poste romain sur la route reliant Jérusalem à la Méditerranée, Kiriath-Jearim occupe en effet une place stratégique. Son autre nom, Kiriath-Baal, du nom du dieu de l’Israël ancien, Baal, pourrait par ailleurs faire référence à la présence jadis d’un temple, une question importante pour la connaissance de la religion de l’Israël ancien. Le couvent de Notre-Dame de l’Arche d’Alliance, construit en 1911 sur les restes d’une église byzantine du Ve siècle au sommet du tell, poursuit ainsi une longue tradition de culte sur le lieu.

Quelle place occupait le site à l’âge de Fer ? Quelles sont les origines de ces récits bibliques ? Quel est le lien entre l’arche d’alliance et ce lieu ? Autant de questions auxquelles la mission de Kiriath-Jearim s’efforcera d’apporter des éléments de réponse. Les fouilles ont mobilisé une soixantaine de chercheurs confirmés et d’étudiants, venant d’Israël, de France et aussi d’autres pays.

Flavie Dubois-Mazeyrie

 

Pour en savoir plus : https://kiriathjearim.wordpress.com/ (site en anglais).
Voir aussi la première interview avec Thomas Römer et Israël Finkelstein sur ces fouilles dans la version anglaise de « Ha’aretz » : http://www.haaretz.com/archaeology/1.809233


* Du titre de l’ouvrage de Thomas Römer, La Bible, Quelles histoires ! paru aux éditions Bayard Jeunesse en 2014.
[i] Colline artificielle, tertre ou tumulus formé par des ruines.