Le prix Nobel de physique 2017 a été attribué aux Américains Raider Weiss, Barry C. Barish et Kip S. Thorne pour la première observation directe des ondes gravitationnelles. Ces ondes avaient été prédites par Albert Einstein un siècle plus tôt en 1916, et déjà une preuve indirecte de leur existence avait donné lieu au prix Nobel de physique 1993 : Russel Hulse et Joseph Taylor avaient mis en évidence en 1974 le ralentissement par émission de ces ondes d’un système binaire de deux étoiles à neutrons(1), dont l’une envoyait le signal d’un pulsar vers l’observateur.

La nouvelle de la détection directe des ondes gravitationnelles a fait l’effet d’une bombe en février 2016. C’est le 14 septembre 2015 que ces ondes ont été observées pour la première fois, venant de la fusion de deux trous noirs pesant chacun plus de 30 fois la masse du Soleil. Dans cet événement très bref, durant une fraction de seconde, les deux instruments de LIGO (dans l’Etat de Washington et en Floride) ont détecté les vibrations de l’espace, avec leurs interféromètres à rayon laser. La différence de longueur entre les deux bras de l’interféromètre de 4 km de long n’était qu’un millième de la taille d’un proton ! Les trous noirs étaient situés à 1 milliard d’années-lumière de la Terre, et les ondes se sont propagées à la vitesse de la lumière pendant un milliard d’années avant de nous parvenir enfin. Un trou noir plus massif est né de la fusion des deux trous noirs initiaux, mais une masse équivalente à trois Soleils a été perdue dans la fusion : c’est l’énergie qu’il a fallu dépenser pour émettre les ondes gravitationnelles (cf. Figure 1).

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Figure 1 : Vue d’artiste de la fusion de deux trous noirs, émettant des ondes gravitationnelles

Depuis, les chercheurs ont annoncé au moins quatre fois la détection d’ondes gravitationnelles, toujours émises par la fusion de deux trous noirs. Lors de la dernière fois, le détecteur européen VIRGO est entré dans la course, après avoir rendu complètement opérationnel son interféromètre. L’addition de ce troisième instrument, situé près de Pise, en Italie, permet maintenant aux scientifiques de mieux localiser l’origine de la fusion des trous noirs, grâce au principe de triangulation.

Lundi 16 octobre 2017, la collaboration LIRGO/VIRGO a annoncé une dernière nouvelle encore plus fracassante : la fusion de deux étoiles à neutrons. En effet, cette fois-ci l’alerte donnée instantanément (le 17 août 2017) a permis à des dizaines de télescopes de par le monde d’observer les suites du phénomène. Et pour la première fois, un rayonnement électromagnétique (des photons) a pu être détecté en quasi-coïncidence avec les ondes gravitationnelles (les gravitons). Un sursaut en rayons gamma a été détecté 1,7 seconde à peine après la fusion des étoiles à neutrons, qui a duré à près de 2 minutes. Les télescopes optiques, en infrarouge ou radio ont tous observé le rayonnement qui a suivi, pendant des heures, des semaines. La collecte de données a été très riche. L’article principal a été signé par 3500 auteurs, mais plus d’une centaine d’autres articles sont parus sur le sujet en moins de deux jours.

Cet événement a permis de confirmer que des sursauts gamma courts étaient bien dus à la fusion d’étoiles à neutrons. Dans cette fusion, des neutrons ont bombardé des éléments lourds comme le fer, et ont provoqué la formation d’éléments encore plus lourds, comme l’or, le platine, les lanthanides, l’uranium, etc. Il est fascinant de penser que l’or de nos bijoux ou tout l’uranium de nos centrales proviennent de la fusion des étoiles à neutrons ! (cf. Figure 2). Dans cette fusion, se produit un événement très énergétique et lumineux, appelé « kilonova ». Proposé par les théoriciens, ce modèle est donc confirmé par les observations aujourd’hui. Comme ces ondes nous sont parvenues pratiquement en même temps à 1,7 s près sur 130 millions d’années-lumière, compte tenu de l’incertitude de l’instant du départ des rayons lumineux et des ondes gravitationnelles, la vitesse des gravitons est confirmée identique à celle des photons à moins de 10-16 près, comme l’avait prédit Einstein. Cela fait un pas de géant dans la théorie, et permet d’éliminer une grande partie des modèles de gravité modifiée, de contraindre les théories au-delà de la relativité générale d’Einstein.

De par la structure très particulière de la fusion de deux astres compacts, comme les étoiles à neutrons ou les trous noirs, la signature de la fusion comprend tous les renseignements sur la masse des objets, leur orbite relative, et l’intensité des ondes mesurées nous donne alors la distance. Lorsque des rayons lumineux, des raies spectrales sont détectées provenant de la même source, cela donne le décalage vers le rouge, conséquence de l’expansion de l’Univers. Ainsi la comparaison des deux événements permet de déduire la constante de Hubble, le taux d’expansion de l’Univers.

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Figure 2 : Le tableau périodique des éléments, coloré selon le processus de formation. L’hydrogène et l’hélium (bleu) proviennent du Big-Bang, alors que l’oxygène, l’aluminium ou le silicium (jaune) proviennent essentiellement de l’explosion des étoiles massives en supernovae. En violet tous les éléments synthétisés dans la fusion des étoiles à neutrons.

Comme on le voit, l’observation des ondes gravitationnelles a ouvert un champ immense d’exploration. La lumière n’est plus la seule messagère de l’Univers, mais les vibrations de l’espace nous apportent des informations complémentaires, impossibles d’obtenir autrement, comme dans le cas de la fusion de trous noirs isolés, qui ne rayonnent pas.

Pourtant, les signaux sont si infimes, que même Einstein ne pensait pas que leur détection serait un jour possible. Les distorsions relatives de l’espace sont de l’ordre du millième de milliardième de milliardième ! La mise au point et la constante amélioration des techniques pendant des dizaines d’années a permis cet exploit, qui ouvre aujourd’hui à l’humanité une autre fenêtre sur l’Univers.

Pr Françoise Combes
Chaire de Galaxies et cosmologie

 

(1) Une étoile à neutrons est une étoile si compacte que toutes les particules qu’elle contient se retrouvent collées les unes contre les autres par la force de gravitation. Au point que les protons et les électrons fusionnent et que l’étoile n’est plus composée que de neutrons.