Suite à la parution de son livre, L’Hyperpuissance de l’informatique, en octobre 2017 aux Editions Odile Jacob, le Professeur Gérard Berry (chaire Algorithmes, machines et langages, médaille d’or 2014 du CNRS) nous explique pourquoi l’informatique bouleverse aussi vite et aussi fort des pans de plus en plus nombreux du monde moderne. Cette omniprésence de l’informatique induit aujourd’hui un changement de nos schémas mentaux qu’il est nécessaire de prendre en compte pour être capable de s’adapter au nouveau monde qui émerge mais aussi de pallier les possibles dérives de l’informatique.

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Tout le monde voit désormais à quel point le paysage est bouleversé par la numérisation généralisée de l’information. Internet est accessible par les ordinateurs et téléphones, avec ses moteurs de recherche, ses encyclopédies, ses réseaux sociaux, etc. Le commerce et les transports se réorganisent de façon massive. La modélisation et la simulation informatique s’appliquent aux avions, au climat, et même à la biologie. La conception assistée par ordinateur des bâtiments et des objets les plus divers devient la règle. Tout cela traduit la puissance et l’universalité de l’informatique. Mais d’où vient cette puissance ? Principalement du changement profond de schéma mental qu’induit l’informatique. Si le XXe siècle s’est construit sur le triangle « matière – énergie – ondes », le XXIe siècle s’appuie désormais sur l’information, l’algorithme et le programme qui le met en œuvre sur un ordinateur.

Face au triptyque physique du siècle précédent, ces nouveaux venus défient notre logique traditionnelle. A l’inverse de la matière, l’information ne pèse pas, ne sent pas, ne brûle pas, et se stocke sur des supports physiques très variés et parfaitement interchangeables. De la même manière, l’algorithme est bien différent de la mécanique : les logiciels ne tombent jamais « en panne », faisant toujours très exactement ce qui est écrit dans leurs programmes. Les bugs informatiques, qui peuvent avoir de graves conséquences, sont donc toujours des erreurs humaines. Or, il est bien plus facile – et hélas fréquent – d’écrire des programmes faux que des programmes justes. Mais, ces concepts de base et bien d’autres aspects de l’informatique restent peu familiers au plus grand nombre. Cette ignorance est regrettable tant les mauvaises pratiques peuvent avoir de graves conséquences.

“Le grand mouvement de l’informatique a été massivement sous-estimé dans beaucoup de pays européens, et particulièrement en France.”

Le grand mouvement de l’informatique a été massivement sous-estimé dans beaucoup de pays européens, et particulièrement en France. Il faut s’interroger sur ce phénomène, qui s’observe à tous les stades de la société. Les dirigeants du public et du privé n’ont souvent qu’une idée très vague du sujet. Fait symptomatique, alors que cinq des dix premières entreprises mondiales tous domaines confondus sont en informatique, dont les trois premières, la France n’en a qu’une parmi les 100 premières mondiales dans le seul domaine informatique. Enfin, l’enseignement reste encore bien timide pour accepter cette nouvelle matière : si un enseignement optionnel de programmation des ordinateurs avait été créé vers 1983 dans nos écoles, il a été supprimé en 1997, juste au début du grand essor d’Internet − belle prescience ! En 2017, la plupart des bacheliers n’avaient eu comme contact avec l’informatique que l’usage des outils logiciels de base, certes utile mais qui a pour effet pervers de les placer non comme créateurs mais comme utilisateurs passifs de ce qui se fait aux Etats-Unis ou en Asie. Pourtant, quoiqu’ils deviennent, ils seront massivement confrontés à elle. Heureusement, de nouvelles directions semblent prises maintenant.

“Ce qui fait le propre de l’informatique, c’est bien la variété de ses applications et l’étendue de son impact sur nos sociétés.”

Le grand mouvement de l’informatique a été massivement sous-estimé dans beaucoup de pays européens, et particulièrement en France. Il faut s’interroger sur ce phénomène, qui s’observe à tous les stades de la société. Les dirigeants du public et du privé n’ont souvent qu’une idée très vague du sujet. Fait symptomatique, alors que cinq des dix premières entreprises mondiales tous domaines confondus sont en informatique, dont les trois premières, la France n’en a qu’une parmi les 100 premières mondiales dans le seul domaine informatique. Enfin, l’enseignement reste encore bien timide pour accepter cette nouvelle matière : si un enseignement optionnel de programmation des ordinateurs avait été créé vers 1983 dans nos écoles, il a été supprimé en 1997, juste au début du grand essor d’Internet − belle prescience ! En 2017, la plupart des bacheliers n’avaient eu comme contact avec l’informatique que l’usage des outils logiciels de base, certes utile mais qui a pour effet pervers de les placer non comme créateurs mais comme utilisateurs passifs de ce qui se fait aux Etats-Unis ou en Asie. Pourtant, quoiqu’ils deviennent, ils seront massivement confrontés à elle. Heureusement, de nouvelles directions semblent prises maintenant.

Outre ses formes de pensée et d’actions spécifiques, ce qui fait le propre de l’informatique, c’est bien la variété de ses applications et l’étendue de son impact sur nos sociétés. La révolution de la communication en est la manifestation la plus palpable, avec le téléphone, électronique puis sans fil, suivi de l’explosion d’Internet et enfin de sa fusion avec la téléphonie par le smartphone. Ce dernier, qui remplace de plus en plus l’ordinateur aujourd’hui, est un bijou de technologies. Il est, par exemple, devenu aussi un excellent appareil photo. Pour cela, la physique ne l’aide pas beaucoup, avec son capteur et son objectif minuscules ; si ses clichés rivalisent avec ceux saisis par les appareils de l’ancien monde, c’est bien aux algorithmes qu’il le doit. Il élimine algorithmiquement les distorsions optiques, chose quasi-impossible avec les seuls procédés physiques ; en fusionnant algorithmiquement plusieurs images en une seule, il réduit considérablement le bruit, le défaut majeur des petits capteurs. L’image est aussi à l’honneur en médecine : l’imagerie médicale moderne révolutionne le diagnostic, la radiologie interventionnelle opère de façon mini-invasive sous imagerie en temps-réel, et les algorithmes d’apprentissage permettent de détecter les lésions dans les images aussi bien que les hommes. Plus généralement, un rôle croissant de l’informatique s’observe dans toutes les sciences, qu’elles soient dures ou molles. Physiciens, astrophysiciens, biologistes, sociologues, littéraires, tous sont confrontés à une multiplication des outils informatiques et des usages numériques dans leur discipline. Mais la vision classique, restreinte à l’outillage, y reste limitante. Les algorithmes servant maintenant tout autant à concevoir les appareils et les expériences qu’à interpréter leurs résultats, il est clair que tous les scientifiques du futur devront avoir une solide formation en informatique pour disposer d’une vraie pensée informatique intégrée, couplée à celle de leur domaine.

En France, ce n’est que récemment que l’on a commencé à mesurer à quel point l’informatique transforme notre société, et les choses commencent lentement à changer. Heureusement, la recherche française en informatique est depuis toujours clairement de niveau mondial ; une excellence scientifique qu’illustre le Collège de France depuis 2007. C’est alors que l’institution a introduit l’informatique dans son programme de recherche et d’enseignement, d’abord sur la chaire Innovation technologique Liliane Bettencourt puis dans un second temps en créant en 2009 avec Inria la chaire annuelle Informatique et sciences numériques, qui a connu depuis neuf titulaires dans des champs très variés. J’ai eu l’honneur de porter cette introduction de l’informatique au Collège en étant invité sur ces deux chaires, mais surtout en me voyant confié la toute première chaire pérenne de la discipline, Algorithmes, machines et langages, ouverte en 2012. Aujourd’hui, l’aventure informatique et numérique du Collège de France se poursuit avec l’inauguration cette année de la chaire Sciences des donnéesdu Professeur Stéphane Mallat et la création récente d’une chaire symétrique Science du logiciel en 2018, dédiée à l’écriture, la vérification et à la fiabilisation des programmes..

Où va l’informatique ? Voilà une question qu’il faut bien sûr se poser mais qui est fort délicate, tant la création y est diverse et tant les fantasmes de ceux qui la comprennent mal sont nombreux. Mais la recrudescence des recherches et les investissements croissants des entreprises et des nations augurent de nouveaux bouleversements. A suivre donc !

Pr Gérard Berry
Chaire Algorithmes, machines et langages

Pour aller plus loin : 
– Découvrez l’ouvrage du Pr Gérard Berry : L’Hyperpuissance de l’informatique. Algorithmes, données, machines, réseaux, paru en octobre 2017 aux Editions Odile Jacob 
– Découvrez les cours du Pr Gérard Berry au Collège de France : https://www.college-de-france.fr/site/gerard-berry/_course.htm