En juin 2018, à l’occasion d’une campagne de fouilles soutenue par la Fondation du Collège de France,  le Pr Jean-Pierre Brun (chaire Techniques et économies de la Méditerranée antique) et la Dr Priscilla Munzi (CNRS/Ecole française de Rome) ont découvert à la périphérie de la ville antique de Cumes, en Italie du Sud, une tombe de l’époque romaine au décor peint exceptionnel. Retour sur le projet scientifique à l’origine de cette découverte.

Aux marges des cités antiques

Chaque époque a sa propre manière d’aborder l’archéologie. Loin d’être neutre, celle-ci révèle en effet quel regard le monde contemporain pose sur son passé et sur son héritage. En matière d’Antiquité, si le XVIIIe siècle s’intéressait à l’art, le XIXe siècle aux vestiges des guerres et le XXe siècle aux monuments institutionnels et religieux, on assiste aujourd’hui à une diversification des centres d’intérêts. Pour sa part, c’est aux vestiges laissés par l’activité industrielle et économique des cités antiques que s’intéresse le Pr Jean-Pierre Brun.

A l’époque romaine comme aujourd’hui, ces activités migrèrent souvent à la périphérie des villes, pour des questions tant d’espace que de coût. Ainsi, les phases d’expansion et de régression économiques et démographiques des espaces urbains se sont inscrites sur ces terrains à la fois par la multiplication ou l’abandon des ateliers, des habitats et, parallèlement, des nécropoles. Dans ce cadre, le Pr Brun s’est intéressé à la périphérie des cités antiques de Pompéi et de Cumes en Italie. Étudiés parallèlement, ces deux sites apportent une lecture complémentaire du cycle de vie d’une cité. Figée dans le temps par l’éruption du Vésuve en l’an 79 de notre ère, Pompéi est un témoignage précieux de l’Empire romain à son apogée. A l’inverse, Cumes, fondée par les Grecs dans la seconde moitié du VIIIe siècle av. J.-C., a connu tant le développement de la civilisation grecque que l’apogée de la civilisation romaine puis son déclin, jusqu’à sa destruction et à son abandon au XIIIe siècle.

Un banquet figé dans le temps

C’est donc aux marges septentrionales la cité antique de Cumes que le Pr Brun et la Dr Priscilla Munzi ont mené des fouilles dans une zone qui comprend un sanctuaire, des ateliers et une nécropole dont l’utilisation est attestée depuis les origines de la cité jusqu’à la fin de l’Antiquité. Parmi les centaines de sépultures explorées, ils ont mis à jour une série de tombeaux voûtés en tuf volcanique. L’accès aux tombes se fait par une porte fermée par une grosse dalle de pierre. A l’intérieur, l’espace se compose d’une chambre avec trois coffres ou lits funéraires. Bien que ces tombes à chambre aient été généralement pillées au XIXe siècle, le mobilier funéraire subsistant indique le niveau social élevé des défunts et permet de dater ces tombeaux des IIe et Ier siècles avant notre ère.

La plupart de ces tombes ne comportent pas de décor, mais, en juin 2018, une chambre funéraire a livré un décor figuré d’un style inédit. La scène immortalise un banquet, thème courant. La représentation se déroulait sur les quatre murs mais seule la peinture de la paroi de l’entrée est bien conservée.  On y voit, de gauche à droite, une amphore à vin sur un trépied de bois, une table avec des mets, une situle en argent (petit récipient muni d’une anse) puis, au-delà de la porte, un jeune serviteur nu apportant une cruche et un canthare (vase profond utilisé pour boire du vin) ainsi qu’un grand cratère en bronze dans lequel l’eau et le vin étaient traditionnellement mélangés. Les convives devaient être représentés sur les autres parois sur lesquelles on distingue des tentures et des édicules à colonnes, signes que la scène se passait à l’air libre.

Un tel décor, au-delà de l’exceptionnel état de conservation des enduits et des pigments restants, s’inscrit dans la tradition des représentations de scènes de banquets fréquentes dans les tombes étrusques et campaniennes à partir du VIe siècle avant J.-C., mais il s’agit ici d’un témoin relativement tardif de cette thématique. Il éclaire l’évolution de la peinture funéraire sous l’influence de la grande peinture macédonienne marquée par des effets d’ombrages et de dégradés de couleurs. La voûte de la chambre était peinte en jaune et les plinthes en rouge. Le sol était recouvert d’une couche de béton de tuileau rouge incrusté d’un semis de tesselles de mosaïque. La chambre abritait trois lits funéraires et une table où le mobilier funéraire avait dû être déposé. Il faut imaginer des vases, des boites à bijoux, des strigiles (racloir recourbé avec lequel les Romains se nettoyaient la peau) et des flacons à parfum.

La datation de la tombe, dans le courant du IIe siècle avant J.-C. est acquise, malgré le vol des objets, par l’architecture et par la stratigraphie, c’est-à-dire par la place qu’occupe cette construction par rapport aux sépultures environnantes restées intactes. L’étude de l’ensemble de ces sépultures apporte aussi des indices sur les évolutions démographiques de la ville, sur le mode de vie de ses habitants et sur les maladies dont ils ont pu être victimes.

Flavie Dubois-Mazeyrie